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Elle pressa le pas en direction de l’enfant qui, réveillée et inconsciente du danger que le loup semblait sentir, s’était tournée sur le ventre et se soulevait pour regarder autour d’elle.

Ayla ne voyait pas ce que l’animal fixait mais elle entendit des grognements. Elle posa par terre le panier et les joncs, attacha son bébé dans son dos avec la couverture. Puis elle desserra les lacets du sac spécial dans lequel elle portait deux ou trois pierres rondes et défit la fronde enroulée autour de sa tête : il n’aurait servi à rien d’utiliser une sagaie sans avoir de cible visible, mais une pierre lancée dans la direction générale indiquée par Loup pouvait faire déguerpir l’animal menaçant.

Ayla lança une pierre, suivie d’une autre. La seconde toucha quelque chose avec un bruit sourd et la bête poussa un cri. Ayla décela un mouvement dans l’herbe. Penché en avant, Loup geignait, impatient de s’élancer.

— Va, lui dit-elle, faisant en même temps de la main le signe correspondant.

Loup partit en courant. Ayla rattacha la fronde autour de son front, tira le propulseur de son carquois et tendit la main vers une sagaie, tout en avançant elle aussi. Lorsqu’elle rejoignit Loup, il faisait face à un animal de la taille d’un ourson mais beaucoup plus dangereux. La fourrure brune barrée d’une bande plus claire courant sur les flancs jusqu’à la partie supérieure d’une queue touffue était celle d’un glouton. Ayla avait déjà affronté le plus gros membre de la famille des fouines et l’avait vu s’emparer de proies tuées par des carnivores bien plus gros que lui. Les carcajous étaient des prédateurs voraces capables d’avaler des quantités de nourriture incroyables pour un animal de leur taille, ce qui leur avait valu leur autre nom, et ils semblaient tuer par plaisir quand ils n’avaient pas faim. Loup était prêt à défendre Ayla et sa fille mais un glouton pouvait infliger une grave blessure, voire pire, à un loup solitaire. Mais Loup n’était pas seul, Ayla faisait partie de sa meute.

Avec sang-froid, elle posa une sagaie sur le propulseur et la lança sans hésiter mais, au même instant, Jonayla poussa un cri qui alerta le glouton. L’animal perçut le mouvement rapide de la femme au dernier moment et fit un écart. Il serait peut-être sorti totalement de la trajectoire de la sagaie s’il n’avait dû concentrer la presque totalité de son attention sur Loup. Le projectile s’enfonça dans le train arrière du glouton, lui portant une blessure qui n’était pas immédiatement mortelle. La pointe de silex attachée à un morceau de bois pointu fixé au bout d’une hampe plus longue s’en sépara comme elle était censée le faire.

Le carcajou se réfugia dans les broussailles avec cette pointe fichée en lui mais Ayla ne pouvait en rester là, elle devait l’achever. Elle ne voulait pas qu’il souffre inutilement. En outre, le glouton étant déjà féroce en temps normal, à quels ravages ne se livrerait-il pas, affolé par la douleur, peut-être dans leur camp même, qui n’était pas si éloigné ? Ayla voulait aussi récupérer la pointe de silex et voir si on pouvait la réutiliser. Enfin, elle voulait la fourrure de l’animal. Elle prit une autre sagaie dans l’étui, repéra l’endroit où la hampe de la première était tombée pour venir la reprendre plus tard.

— Trouve-le, Loup, ordonna-t-elle, cette fois uniquement par un geste.

Loup partit devant, ne tarda pas à flairer l’odeur du glouton et à le débusquer. Ayla retrouva son loup en arrêt, grondant en direction d’une masse brun et blanc en partie dissimulée par les broussailles.

Elle évalua rapidement la position du glouton avant de lancer avec force sa deuxième sagaie. Le projectile s’enfonça profondément, perça le cou de part en part. Un jet de sang indiqua qu’une artère avait été sectionnée. Le carcajou cessa de grogner et s’effondra.

Ayla détacha la hampe de la deuxième sagaie, envisagea de traîner l’animal sur l’herbe par la queue mais se dit aussitôt que ce serait plus facile dans le sens des poils. Elle remarqua alors d’autres benoîtes poussant à proximité et les déracina. Elle enroula les solides tiges épineuses autour de la tête et des mâchoires du glouton et le rapporta à la clairière en s’arrêtant au passage pour récupérer la hampe de la première sagaie.

Ayla tremblait quand elle parvint à l’endroit où elle avait posé son panier. Elle laissa le corps du carcajou un peu plus loin, desserra la couverture à porter et fit passer Jonayla devant. Les joues ruisselantes de larmes, elle pressa sa fille contre elle et laissa enfin sortir sa peur et sa colère. À n’en pas douter, c’était son bébé que le glouton avait choisi pour proie.

Même si Loup faisait bonne garde – et elle savait qu’il se serait battu à mort pour l’enfant – le carcajou retors et hargneux aurait pu le blesser et s’en prendre ensuite à Jonayla. Peu d’animaux se risquaient à affronter un loup, surtout un spécimen de la taille de celui d’Ayla. La plupart des grands félins auraient reculé ou auraient simplement passé leur chemin et c’était à ces prédateurs qu’elle avait pensé quand elle avait laissé Jonayla seule. Elle n’avait pas voulu réveiller son bébé endormi pour une cueillette aussi courte. Après tout, Loup la protégeait, et Ayla n’avait perdu l’enfant de vue que quelques instants, quand elle avait pénétré dans le marais pour déterrer les joncs. Elle n’avait pas pensé à un glouton. Il y a toujours plus d’une sorte de prédateur qui rôde, se dit-elle en secouant la tête.

Elle donna le sein au bébé, autant pour se réconforter elle-même que pour le nourrir, et félicita Loup en lui tapotant l’échine de sa main libre.

— Il faut que j’aille écorcher le glouton. J’aurais préféré tuer une bête qui se mange – encore que tu puisses t’en contenter – mais je veux sa fourrure. C’est le seul bon côté des gloutons. Sinon, ils sont mauvais, ils nous volent les animaux pris dans nos pièges et la viande mise à sécher, même à proximité des camps. Lorsqu’ils réussissent à s’introduire dans un abri, ils saccagent tout et répandent une odeur infecte. Leur fourrure fournit cependant la meilleure doublure de capuchon d’hiver. La glace ne s’y accroche pas quand on halète. Je ferai un capuchon pour Jonayla et un autre pour moi. Toi, tu n’en as pas besoin, Loup. La glace ne s’accroche pas non plus à ta fourrure. En plus, tu aurais l’air bizarre avec de la fourrure de glouton autour de la tête.

Ayla se rappela le carcajou qui avait importuné les femmes du clan de Brun alors qu’elles découpaient une bête abattue à la chasse. Il s’était précipité au milieu du groupe et avait dérobé des bandes de viande fraîchement coupées qu’elles avaient mises à sécher sur des cordes tendues près du sol. Même quand elles lui avaient jeté des pierres, il n’avait pas battu en retraite. Il avait finalement fallu qu’un des hommes s’occupe de lui. L’incident avait fourni à Ayla l’un de ses arguments pour justifier sa décision d’apprendre seule et secrètement à chasser avec sa fronde.

Ayla reposa sa fille sur la couverture en peau de daim, cette fois sur le ventre puisque l’enfant semblait aimer se soulever pour regarder autour d’elle. Ayla traîna ensuite le corps du glouton à l’écart et le retourna. Elle commença par extraire les deux pointes de silex restées dans la chair de l’animal. Celle qui s’était plantée dans l’arrière-train était intacte, il suffirait d’en laver le sang, mais l’autre avait l’extrémité brisée. Il faudrait la retailler et Jondalar le ferait bien mieux qu’elle, pensa Ayla.

Avec le couteau neuf qu’il lui avait récemment offert, elle sectionna les parties génitales du carcajou et, partant de l’anus, coupa en direction du ventre, s’arrêtant juste avant la glande à sécrétion nauséabonde. Pour marquer leur territoire, les gloutons s’accroupissaient au-dessus d’un rondin ou d’un buisson et le frottaient avec la substance produite par cette glande, qui pouvait gâcher une fourrure : impossible de porter autour du visage des poils imprégnés d’une odeur presque aussi forte que celle d’une moufette.

Écartant la peau pour éviter de percer le ventre et de toucher les intestins, Ayla cisailla autour de la glande, tâta de la main avec précaution, passa le couteau dessous et la coupa. Elle allait la jeter en direction des bois quand elle songea que Loup en décèlerait l’odeur et viendrait la prendre, ce qui risquait d’empuantir aussi son pelage. Elle prit délicatement la glande entre ses doigts, retourna à l’endroit où elle avait abattu le glouton, repéra une branche fourchue et la posa dessus. De retour près du carcajou, elle finit d’inciser la peau jusqu’à la gorge.

Elle revint ensuite à l’anus et enfonça son couteau à la fois dans la peau et la chair. Lorsqu’elle parvint à l’ilion, elle chercha le bord situé entre côté droit et côté gauche et sectionna le muscle jusqu’à l’os. Puis elle écarta les pattes de l’animal en forçant, chercha de nouveau le bon endroit, accentua encore sa pression et cassa l’os, coupant légèrement la membrane de l’abdomen. Après avoir élargi l’ouverture, elle put prélever l’intestin et le reste des entrailles. Une fois cette tâche délicate accomplie proprement, elle coupa la chair jusqu’au sternum.

Un couteau ne suffirait pas pour briser le sternum. Ayla savait qu’elle avait un petit percuteur dans le sac où elle rangeait son bol et sa coupe mais elle regarda d’abord autour d’elle pour trouver quelque chose d’autre. Elle aurait dû prendre la pierre arrondie avant de commencer à écorcher le glouton mais, un peu déconcentrée, elle avait oublié de le faire. Elle avait du sang sur les mains et ne voulait pas salir son sac. Elle vit une pierre dépassant du sol et se servit de son bâton à fouir pour la dégager mais elle se révéla trop grosse. Finalement, elle essuya ses mains dans l’herbe et prit le percuteur dans le sac.

Il lui fallait autre chose encore. Si elle frappait le dos de la lame de son nouveau couteau de silex avec une pierre, il s’ébrécherait. Elle avait besoin de quelque chose pour amortir le choc. Se rappelant alors qu’un bord de la couverture à porter était déchiré, elle se releva, retourna à l’endroit où Jonayla battait des pieds en tentant d’attraper Loup. Ayla lui sourit et coupa un morceau de cuir souple du coin abîmé. De retour près du glouton, elle plaça toute la longueur de la lame de silex sur le sternum, la recouvrit du morceau de cuir, ramassa le percuteur et frappa. Le couteau fit une entaille mais ne brisa pas l’os. Ayla frappa une deuxième et une troisième fois avant de sentir l’os céder. Lorsque le sternum fut ouvert, elle prolongea l’incision jusqu’à la gorge pour dégager la trachée.

Après avoir écarté la cage thoracique, elle libéra des parois le diaphragme séparant la poitrine du ventre. Saisissant la trachée glissante, elle entreprit d’extraire les viscères en utilisant son couteau pour les décoller de la colonne vertébrale. L’ensemble des organes internes reliés entre eux roula sur le sol. Ayla retourna la carcasse pour la laisser se vider.

La procédure était essentiellement la même pour tout animal, petit ou grand. Si sa chair devait être mangée, l’étape suivante consistait à la rafraîchir le plus rapidement possible en la rinçant à l’eau froide ou, si c’était en hiver, en la posant sur la neige. De nombreux organes internes d’herbivores comme le bison, l’aurochs, le cerf, le mammouth ou le rhinocéros étaient comestibles et savoureux – le foie, le cœur, les reins – et d’autres parties avaient une autre utilisation. On se servait presque toujours de la cervelle pour tanner les peaux. Une fois nettoyé, l’intestin était rempli de graisse ou de morceaux de viande auxquels on ajoutait parfois du sang. Bien lavés, l’estomac et la vessie faisaient d’excellentes outres pour l’eau ou d’autres liquides. Ils servaient aussi d’ustensiles de cuisson. On pouvait aussi cuire un aliment dans une peau fraîche enfoncée légèrement dans un trou creusé dans le sol. On ajoutait de l’eau, on la faisait bouillir avec des pierres chauffées dans le feu. Lorsqu’on les utilisait ainsi, les estomacs, les peaux et autres matières organiques rétrécissaient parce qu’ils cuisaient aussi et il ne fallait jamais trop les remplir d’eau.

Bien qu’elle sût que d’autres le faisaient, Ayla ne consommait jamais la viande des carnivores. Le clan qui l’avait élevée n’aimait pas manger la viande d’animaux qui mangeaient de la viande et les rares fois où elle avait essayé, elle avait trouvé le goût écœurant. Elle présumait qu’en des circonstances exceptionnelles elle aurait été capable de le supporter mais il aurait fallu qu’elle soit à demi morte de faim. Désormais, elle n’aimait même plus la viande de cheval, pourtant généralement très appréciée. Elle savait que c’était parce qu’elle se sentait très proche de ses chevaux.

Il était temps de retourner au camp. Elle remit les hampes de sagaie dans son carquois spécial avec le propulseur, jeta les pointes récupérées dans la carcasse du glouton. Puis elle rattacha Jonayla sur son dos avec la couverture, ramassa son panier et fourra les longues tiges de jonc sous un de ses bras. Elle saisit les benoîtes encore enroulées autour de la tête de l’animal et le tira derrière elle. Elle laissa les entrailles où elles étaient, l’une ou l’autre créature de la Mère se chargerait de les manger.

Lorsqu’elle arriva au camp, Jondalar et Zelandoni la regardèrent un instant avec étonnement.

— Tu n’as pas perdu ton temps, semble-t-il, souligna la doniate.

— Je ne pensais pas que tu chasserais, dit Jondalar en s’approchant de sa compagne pour la soulager de ses fardeaux. Encore moins un glouton.

— Ce n’était pas mon intention, répondit-elle avant de lui raconter ce qui s’était passé.

— Je me demandais pourquoi tu emportais des armes pour partir à la cueillette, reprit Zelandoni. Maintenant, je le sais.

— Généralement, les femmes y vont en groupe. Elles parlent, elles rient, elles chantent, elles font beaucoup de bruit. Parce qu’elles y prennent plaisir mais aussi parce que cela fait fuir les animaux, expliqua Ayla.

— Je n’y avais pas pensé mais tu as raison, dit Jondalar. À plusieurs, les femmes tiennent sûrement la plupart des animaux à l’écart.

— Nous conseillons toujours aux jeunes femmes de se faire accompagner chaque fois qu’elles quittent la Caverne, que ce soit pour faire une visite, cueillir des baies ou ramasser du bois, dit Zelandoni. Nous n’avons pas à leur recommander de bavarder et de rire, elles le font naturellement quand elles sont ensemble et cela contribue à leur sécurité.

— Au Clan, les femmes parlent peu et ne rient jamais, mais elles frappent leurs bâtons à fouir en cadence, elles crient ou émettent des sons sur ce rythme. Ce n’est pas chanter mais cela y ressemble.

Jondalar et Zelandoni se regardèrent sans savoir quoi dire. De temps à autre, Ayla émettait un commentaire qui leur donnait un aperçu de la vie qu’elle avait menée avec le Clan et les amenait à comprendre combien son enfance avait été différente de la leur. Cela leur faisait aussi prendre conscience que le peuple du Clan était à la fois semblable et différent d’eux.

— Avec la fourrure du glouton, je pourrai faire des doublures de capuchon, mais il faut que je m’en occupe tout de suite, dit Ayla à son compagnon. Tu veux bien garder Jonayla ?

— Mieux que ça. Je vais t’aider pour la fourrure et nous garderons Jonayla ensemble.

— Allez-y tous les deux, intervint Zelandoni, je m’occuperai du bébé. Ce ne serait pas la première fois que je garde un enfant. Et Loup m’aidera, ajouta-t-elle en regardant le prédateur. N’est-ce pas, Loup ?

Ayla traîna le corps du carcajou jusqu’à une clairière située à quelque distance pour ne pas attirer de charognards à proximité de leur camp. Elle prit dans la carcasse les pointes de silex récupérées et les tendit à Jondalar.

— Une seule est à retailler, lui expliqua-t-elle avant de narrer les détails de sa chasse.

— Ma journée a été beaucoup moins animée que la tienne, dit-il en commençant à écorcher le glouton.

Il coupa la peau de la patte arrière gauche jusqu’à l’incision qu’Ayla avait pratiquée dans le ventre.

— Tu as trouvé des silex dans la grotte, aujourd’hui ? lui demanda-t-elle en faisant la même chose sur la patte avant gauche.

— Il y en a beaucoup. Ils ne sont pas de première qualité, mais ils peuvent servir, au moins pour apprendre à tailler. Tu te souviens de Matagan ? Le garçon blessé à la jambe par un rhinocéros l’année dernière ? Celui dont tu as remis l’os en place ?

— Oui. Je n’ai pas eu l’occasion de lui parler mais je l’ai vu. Il boite mais il a l’air d’aller bien, répondit-elle en incisant la patte avant droite tandis que Jondalar passait à la patte arrière droite.

— J’ai discuté avec sa mère et le compagnon de cette femme, ainsi qu’avec plusieurs membres de leur Caverne. Si Joharran et la Neuvième sont d’accord – et je ne vois pas qui soulèverait une objection – il viendra vivre avec notre Caverne à la fin de l’été. Je lui montrerai comment tailler le silex, je verrai s’il a du talent ou du goût pour ça.

Il leva les yeux et demanda :

— Tu veux garder les pieds ?

— Les griffes sont acérées mais à quoi pourraient-elles me servir ?

— Tu peux toujours les troquer. Elles feraient une jolie décoration, cousues sur une tunique, ou assemblées en collier. Les dents aussi, d’ailleurs. Et que comptes-tu faire de cette superbe queue ?

— Je crois que je la garderai avec la peau. Quant aux griffes, je les troquerai… ou je m’en servirai pour percer des trous.

Ils coupèrent les pieds, disloquant les articulations et sectionnant les tendons, puis ils décollèrent la peau du côté droit de la colonne vertébrale en utilisant davantage leurs mains que leurs couteaux. À coups de poing, ils crevèrent la membrane séparant le corps de la peau quand ils parvinrent à la partie charnue des pattes. Puis ils retournèrent la carcasse et s’attaquèrent au côté gauche.

Tout en bavardant, ils continuèrent à décoller la peau en tirant pour faire le moins d’incisions possible.

— Où Matagan logera-t-il ? s’enquit Ayla. Il a de la famille à la Neuvième Caverne ?

— Non, il n’en a pas. Nous n’avons pas encore pris de décision.

— Son foyer lui manquera, surtout au début. Nous avons de la place, il pourrait vivre avec nous.

— J’y ai songé et je voulais savoir si cela te dérangerait. Il faudrait nous organiser, lui donner son propre endroit où dormir, mais c’est avec nous qu’il serait le mieux. Je le ferai travailler, je verrai si la taille l’intéresse. Ça ne servirait à rien d’essayer de la lui apprendre si ça ne lui plaît pas, mais j’aimerais avoir un apprenti. Et avec sa mauvaise jambe, cela lui conviendrait.

Ils durent se servir davantage de leurs couteaux pour détacher la peau des épaules, aux endroits où elle était tendue et où la membrane entre chair et peau était moins nette. Il fallut ensuite couper la tête. Tandis que Jondalar tirait sur le cou, Ayla chercha le point de jonction et trancha la chair jusqu’à l’os. Après une brève torsion, un coup de lame dans la membrane et les tendons, la tête tomba.

Jondalar tint à bout de bras la superbe fourrure. Avec son aide, écorcher le glouton avait pris peu de temps. Ayla se rappela la première fois qu’il l’avait aidée à dépecer un animal, quand ils vivaient dans la vallée où elle avait trouvé son cheval et qu’il n’était pas encore tout à fait remis des coups de griffe du lion. Elle avait été étonnée non seulement qu’il veuille l’aider mais qu’il en soit capable. Les hommes du Clan ne se chargeaient pas de ce genre de travail, ils n’avaient pas les souvenirs nécessaires pour ça, et parfois il arrivait encore à Ayla d’oublier que Jondalar pouvait l’aider dans des tâches qui, au Clan, auraient incombé aux femmes. Habituée à se débrouiller seule, elle sollicitait rarement son aide mais lui était reconnaissante, maintenant comme autrefois, quand il la lui accordait.

— Je donnerai la viande à Loup, dit Ayla en baissant les yeux vers ce qui restait du carcajou.

— Je me demandais ce que tu allais en faire.

— Maintenant, je vais envelopper la peau, avec la tête à l’intérieur, et nous préparer à manger. Je commencerai peut-être à la racler ce soir.

— Il faut absolument que tu le fasses ce soir ?

— J’ai besoin de la cervelle pour l’assouplir et elle s’abîmera si je ne l’utilise pas rapidement. C’est une fourrure magnifique, il ne faut pas la gâcher, surtout si l’hiver est aussi froid que Marthona le prédit.

Ils commençaient à s’éloigner quand Ayla repéra des plantes aux feuilles dentelées en forme de cœur, hautes de trois pieds environ, poussant sur la berge humide de la rivière où ils prenaient leur eau.

— Avant de rentrer, je vais cueillir des orties pour le repas de ce soir.

— Elles piquent, objecta Jondalar.

— Une fois cuites, elles ne piqueront plus et elles auront bon goût.

— Je sais mais je me demande qui a eu le premier l’idée de faire cuire des orties pour les manger.

— Je ne crois pas qu’on le saura un jour. Il faut que je trouve quelque chose pour me protéger les mains…

Ayla regarda autour d’elle, remarqua de hautes plantes raides aux fleurs violettes très voyantes, un peu comme celles des chardons, avec de grandes feuilles duveteuses autour de la tige.

— Des bardanes, dit-elle. Leurs feuilles sont douces comme de la peau de daim. Ça ira.

 

 

— Délicieuses, ces fraises, déclara Zelandoni. Une fin parfaite pour un merveilleux repas. Merci, Ayla.

— Je n’ai pas fait grand-chose. La viande provenait de l’arrière-train d’un cerf que Solaban et Rushemar m’ont donné avant notre départ. J’ai simplement fabriqué un four pour la rôtir et j’ai faire cuire des joncs.

La doniate avait regardé Ayla creuser un trou dans le sol avec une omoplate aiguisée à une extrémité pour servir de pelle. Elle avait rejeté la terre sur une peau usagée dont elle avait ensuite rapproché les coins pour la porter plus loin. Puis elle avait recouvert le fond et les côtés du trou avec des pierres, en laissant un espace à peine plus grand que la viande, et y avait fait brûler un feu jusqu’à ce qu’elles soient brûlantes. Dans son sac à remèdes, elle avait pris une poche et avait répandu une partie de son contenu sur la viande : certaines plantes étaient à la fois médicinales et aromatiques. Elle avait ajouté les radicelles du rhizome des benoîtes, qui avaient un goût de clou de girofle, ainsi que de l’hysope et de l’aspérule.

Après avoir enveloppé le rôti de cerf dans les feuilles de bardane, elle avait recouvert les pierres du fond d’une couche de terre pour qu’elles ne brûlent pas la viande et avait posé le rôti dans le petit four. Elle avait mis par-dessus de l’herbe humide et des feuilles puis une autre couche de terre, et enfin une grosse pierre plate également chauffée au feu. La viande avait cuit lentement dans la chaleur résiduelle et dans son jus.

— Ce n’était pas seulement un morceau de viande cuite, insista Zelandoni. C’était très tendre, avec un goût que je ne connaissais pas mais que j’ai apprécié. Où as-tu appris à faire à manger comme ça ?

— J’ai appris avec Iza. Elle était femme-médecine du clan de Brun, mais en plus de savoir utiliser les herbes pour soigner elle en connaissait le goût.

— J’ai ressenti exactement la même chose la première fois qu’Ayla m’a fait à manger, dit Jondalar. Un goût inhabituel mais délicieux. J’y suis habitué, maintenant.

— C’était aussi une idée ingénieuse de faire ces petits sacs avec les feuilles de jonc, d’y mettre les orties, les pousses et les épis de jonc avant de les plonger dans l’eau bouillante, dit la Première. C’était plus facile pour les retirer ensuite, il n’a pas fallu les repêcher dans le fond. Je m’en servirai pour les décoctions et les infusions.

— J’ai appris ça à la Réunion d’Été des Mamutoï. Une femme y préparait à manger de cette façon et beaucoup d’autres l’ont imitée.

— C’était aussi une bonne idée de mettre un peu de graisse sur la pierre plate chaude pour y faire cuire tes gâteaux de farine de jonc. J’ai vu que tu leur avais ajouté quelque chose pris dans ton sac. Qu’est-ce que c’était ?

— Des cendres de pas-d’âne. Ils ont un goût salé, surtout si on les sèche avant de les brûler. J’aimais bien utiliser du sel de mer, quand j’en avais. Les Mamutoï en troquaient. Les Losadunaï vivent près d’une montagne dont ils extraient du sel. Ils m’en ont offert avant notre départ et il m’en restait encore à notre arrivée mais je n’en ai plus, alors je me sers de cendres de feuilles de pas-d’âne, comme le faisait Nezzie. Avant, j’utilisais des pas-d’âne mais pas sous forme de cendres.

— Tu as beaucoup appris pendant tes voyages et tu as de nombreux talents, dit la doniate. J’ignorais que cuire en faisait partie.

Ayla ne savait pas quoi répondre. Elle ne considérait pas que préparer à manger constituait un talent. Elle se sentait encore gênée quand on faisait directement son éloge et se demandait si elle s’y habituerait un jour.

— Les grandes pierres plates sont rares, je crois que je vais garder celle que j’ai trouvée, dit-elle finalement. Comme Rapide tire des perches, je la poserai dessus et je n’aurai pas à la porter. Quelqu’un veut une tisane ?

— Une tisane de quoi ? voulut savoir Jondalar.

— Je vais me servir de l’eau dans laquelle j’ai fait cuire les orties et les joncs. J’y ajouterai de l’hysope, et peut-être de l’aspérule.

— Ça devrait être bon, estima Zelandoni.

— L’eau est encore chaude, ce ne sera pas long, dit Ayla en remettant des pierres dans le feu.

Elle commença ensuite à ranger. Elle transportait la graisse d’aurochs dans un intestin soigneusement lavé dont elle tordit l’extrémité pour le fermer. Elle le mit dans la boîte en cuir brut contenant les viandes. Plongées dans une eau frémissante, les parties grasses de l’animal donnaient un suif blanc utilisé pour cuire les aliments ou pour remplir les lampes. Les restes du repas furent enveloppés dans de grandes feuilles, entourés d’une corde et accrochés au trépied de perches avec la viande.

C’était du suif qui brûlait dans les lampes en pierre creuses. On utilisait comme mèche divers matériaux absorbants. Dans l’obscurité totale d’une caverne, ces lampes projetaient une lumière plus vive qu’on ne l’aurait imaginé. Ils s’en serviraient le lendemain lorsqu’ils pénétreraient dans la grotte.

Ayla plongea des pierres brûlantes dans l’eau de cuisson, la regarda bouillonner avec un sifflement de vapeur, ajouta de l’hysope fraîche.

— Je vais à la rivière laver nos bols, tu veux que je nettoie aussi le tien, Zelandoni ? proposa-t-elle à la doniate.

— Oui, ce serait gentil de ta part.

À son retour, Ayla trouva sa coupe remplie d’une tisane fumante. Jondalar tenait Jonayla dans ses bras et la faisait rire par des grimaces et des bruits bizarres.

— Je crois qu’elle a faim, dit-il.

— Comme d’habitude quand elle se réveille, répondit Ayla en souriant.

Elle prit l’enfant et s’installa près du feu. Avant que le bébé les interrompe, Jondalar et Zelandoni parlaient de Marthona et ils reprirent leur conversation lorsque l’enfant fut repue et de nouveau calme.

— Je ne connaissais pas très bien Marthona quand je suis entrée dans la Zelandonia, dit la Première, mais on racontait beaucoup d’histoires sur son grand amour pour Dalanar. Lorsque je suis devenue acolyte, la Zelandoni qui m’a précédée m’a parlé de la femme connue pour la compétence avec laquelle elle dirigeait la Neuvième Caverne pour que je comprenne bien la situation.

« Son premier compagnon, Joconan, avait été un Homme Qui Commande imposant et elle avait beaucoup appris de lui. Au début, d’après ce qu’on m’a dit, c’était plus de l’admiration et du respect que de l’amour qu’elle éprouvait pour lui. J’ai eu le sentiment qu’elle le vénérait presque, même si la Zelandoni n’employait pas ce mot. Elle disait plutôt que Marthona faisait tout pour lui plaire. Il était plus âgé, elle était sa belle jeune femme, même s’il était prêt à l’époque à en prendre une de plus, voire davantage. Il avait longtemps attendu avant de s’unir et il voulait avoir rapidement une famille une fois la décision prise. Avoir plus d’une compagne lui donnerait l’assurance que des enfants naîtraient dans son foyer.

« Marthona fut bientôt enceinte de Joharran et quand elle donna le jour à un fils, Joconan ne fut plus aussi pressé. En outre, peu après la naissance de l’enfant, Joconan tomba malade. Ce ne fut pas visible au début et il le garda pour lui. Bientôt il comprit que ta mère n’était pas seulement jolie, Jondalar, qu’elle était aussi intelligente. Elle découvrit sa propre force en l’aidant. À mesure qu’il s’affaiblissait, elle assumait de plus en plus les responsabilités de Joconan, si bien qu’à sa mort les membres de la Caverne voulurent qu’elle continue à remplir le rôle d’Homme Qui Commande.

— Quel genre d’homme était Joconan ? demanda Jondalar. Tu dis qu’il était imposant. Je pense que Joharran l’est aussi. Il réussit généralement à persuader la plupart des gens d’adopter son avis et de faire ce qu’il souhaite.

Ayla était captivée. Elle avait toujours voulu en savoir plus sur la mère de son compagnon, mais Marthona n’était pas femme à beaucoup parler d’elle-même.

— Joharran est un bon Homme Qui Commande, mais il n’est pas imposant comme l’était Joconan. Ton frère ressemble plus à Marthona qu’à son compagnon. Joconan pouvait être intimidant, parfois. Il avait une forte présence. On trouvait facile de le suivre, difficile de s’opposer à lui. Je crois que certains avaient peur de le contredire, même s’il ne menaçait jamais personne, du moins autant que je sache. On disait qu’il était l’Élu de la Mère. Les jeunes hommes, en particulier, aimaient être près de lui, et les jeunes femmes se jetaient à sa tête. Presque toutes, paraît-il, portaient alors des franges pour tenter de le séduire. Pas étonnant qu’il ait attendu d’être âgé pour s’unir.

— Tu penses vraiment que les franges aident une femme à prendre un homme au piège ? demanda Ayla.

— Cela dépend de l’homme. Les franges font penser à la toison pubienne et suggèrent que la femme est prête à l’exposer. Si un homme est facilement excité, ou intéressé par une femme particulière, des franges peuvent l’émoustiller et il la suivra partout jusqu’à ce qu’elle décide de le capturer. Mais Joconan savait ce qu’il voulait et je ne pense pas qu’il se serait intéressé à une femme persuadée qu’elle avait besoin de franges pour séduire un homme. Marthona ne portait jamais de franges et elle attirait toujours l’attention. Lorsque Joconan décida qu’il voulait s’unir aussi à la jeune femme venue d’une lointaine Caverne, puisqu’elles étaient comme des sœurs, elles furent toutes les deux d’accord. Ce fut le Zelandoni d’alors qui s’opposa à cette double union : il avait promis que la visiteuse retournerait au sein de son peuple après avoir acquis le savoir nécessaire pour être doniate.

La Première se révélait bonne conteuse et Ayla était émerveillée par son talent mais plus encore par le contenu de l’histoire.

— Joconan était un grand Homme Qui Commande, poursuivit la doniate. Ce fut sous sa gouverne que la Neuvième Caverne devint si nombreuse. Elle avait toujours eu des dimensions permettant d’accueillir plus de membres que la plupart des autres, mais rares étaient ceux qui se sentaient prêts à être responsables d’une telle multitude. Lorsqu’il mourut, Marthona fut accablée de chagrin. Je crois qu’elle songea un moment à le suivre dans le Monde d’Après mais elle avait un enfant et Joconan laissait dans la communauté un vide qu’il fallait combler.

« Les gens commencèrent à se tourner vers elle quand ils avaient besoin de l’aide que fournit un Homme Qui Commande : régler un différend, organiser une visite à une autre Caverne, se rendre à la Réunion d’Été, prévoir une chasse et estimer la part que chaque chasseur devrait céder à la Caverne, dans l’immédiat et pour l’hiver suivant. Ils prirent le pli de s’adresser à Marthona et elle s’habitua à s’occuper des problèmes. Leurs besoins et son fils : c’est ce qui lui donna la force de continuer. Au bout de quelque temps, elle devint une Femme Qui Commande reconnue et son chagrin finit par s’atténuer, mais elle déclara au Zelandoni qu’elle ne s’unirait probablement jamais plus. C’est alors que Dalanar arriva à la Neuvième Caverne.

— Tout le monde dit que ce fut le grand amour de sa vie, glissa Jondalar.

— Oui, son grand amour. Marthona aurait presque renoncé pour lui à son rôle de Femme Qui Commande, mais elle savait que la Caverne avait besoin d’elle. Et au bout d’un moment, même s’il l’aimait autant qu’elle l’aimait, il éprouva le désir d’exister par lui-même. Il ne se satisfaisait pas d’être dans l’ombre de Marthona. Contrairement à toi, Jondalar, son talent de tailleur de pierre ne lui suffisait pas.

— C’est pourtant l’un des plus doués que j’ai connus. Tous reconnaissent la qualité exceptionnelle de son travail. Le seul autre tailleur de silex qui puisse se comparer à lui est Wymez, du Camp du Lion des Mamutoï. J’ai toujours souhaité qu’ils se rencontrent un jour.

— Ils l’ont peut-être fait à travers toi, en un sens. Sache que tu deviendras bientôt – si tu ne l’es déjà – le tailleur de silex le plus renommé des Zelandonii. Dalanar est un fabricant d’outils très doué, cela ne fait aucun doute, mais il est lanzadonii, maintenant. De toute façon, son vrai talent a toujours été dans ses rapports avec les gens. Il est heureux, à présent. Il a fondé sa propre Caverne, et s’il restera toujours zelandonii, d’une certaine façon, ses Lanzadonii deviendront un jour un peuple distinct du nôtre.

« Et tu es le fils de son cœur en même temps que le fils de son foyer. Il est fier de toi. Il aime également Joplaya, la fille de Jerika. Il est fier de vous deux. Si dans un coin caché de son cœur il aime peut-être toujours Marthona, il adore Jerika. Je crois qu’il apprécie qu’elle soit exotique, à la fois si menue et si vaillante. C’est ce qui l’attire en elle. Il est si grand qu’elle paraît minuscule à côté de lui ; elle a l’air fragile mais elle est plus que son égale. Elle n’a pas envie d’être Femme Qui Commande, elle est heureuse de lui laisser ce rôle, même si je ne doute pas qu’elle soit capable de l’exercer. Sa volonté et sa force de caractère sont extraordinaires.

— Là, tu as raison ! s’exclama Jondalar dans un de ses grands rires.

Ses accès d’hilarité étonnaient d’autant plus qu’ils étaient rares. Jondalar était un homme sérieux et s’il souriait souvent il riait rarement. Lorsque cela lui arrivait, l’exubérance de son rire surprenait.

— Dalanar trouva quelqu’un d’autre après que Marthona et lui eurent rompu le lien mais beaucoup doutaient qu’elle le remplacerait un jour, qu’elle aimerait un autre homme de la même façon, et ce n’est pas arrivé, mais elle a trouvé Willamar. Son amour pour lui n’est pas moindre mais différent, de même que son amour pour Dalanar n’était pas comme son amour pour Joconan. Willamar aussi a un don pour les relations avec les gens – c’est vrai de tous les hommes avec qui elle a vécu –, mais il le réalise en étant Maître du Troc, en voyageant, en établissant des contacts, en découvrant des lieux inhabituels. Il a vu et appris plus de choses, rencontré plus de gens que quiconque, toi compris, Jondalar. Il aime voyager mais il aime plus encore revenir chez les siens, partager avec eux ses aventures et ce qu’il a appris. Il a établi un réseau de troc à travers tout le territoire zelandonii et au-delà, il a rapporté des histoires passionnantes et des objets insolites. Il a été d’une grande aide pour Marthona quand elle était Femme Qui Commande et il l’est maintenant pour Joharran. Il n’y a pas d’homme pour qui j’aie plus de respect. Et, bien sûr, la seule fille de Marthona est née au foyer de Willamar. Marthona avait toujours voulu une fille et ta sœur Folara est une charmante jeune femme.

Ayla comprenait ce sentiment. Elle aussi avait voulu avoir une fille et son regard, chargé d’amour, se porta sur son bébé endormi.

— Oui, Folara est belle, dit Jondalar. Et intelligente, et sans peur. Lorsque nous sommes arrivés et que tous les autres étaient effrayés par les chevaux et le reste, elle n’a pas hésité. Elle a couru à ma rencontre. Je ne l’oublierai jamais.

— Folara fait la fierté de ta mère. En plus, avec une fille, tu sais toujours que ses enfants sont tes petits-enfants. Je suis sûre qu’elle aime les enfants nés aux foyers de ses fils, mais avec une fille, il n’y a aucun doute. Ton frère Thonolan est né aussi au foyer de Willamar et même si Marthona n’avait pas de préféré, c’était surtout lui qui la faisait sourire. Il faisait sourire tout le monde, d’ailleurs, il avait avec les gens un contact encore plus engageant, ouvert et chaleureux que Willamar, des qualités auxquelles personne ne pouvait résister, et il avait le même amour du voyage. Je ne crois pas que sans lui tu aurais entrepris un aussi long Voyage, Jondalar.

— Tu as raison. Je n’avais jamais songé à voyager avant qu’il décide de le faire. Rendre visite aux Lanzadonii me suffisait.

— Pourquoi as-tu finalement décidé de partir avec lui ?

— Je ne sais pas si je peux l’expliquer. Comme il avait le don pour tout rendre amusant, j’ai pensé que ce serait facile, avec lui, et il m’avait fait du Voyage une description alléchante. Mais je n’imaginais pas que nous irions aussi loin. Je crois que j’ai aussi accepté parce qu’il était parfois un peu imprudent et que je me sentais tenu de veiller sur lui. Il était mon frère, je l’aimais plus que n’importe qui. Je savais que je reviendrais un jour si c’était possible et je pensais que si je l’accompagnais il reviendrait finalement avec moi. Je ne sais pas, quelque chose me poussait.

Jondalar se tourna vers Ayla, qui l’écoutait plus attentivement encore que Zelandoni.

Il ne le sait pas mais c’est mon totem, et peut-être aussi la Mère, qui l’a incité à partir, pensait-elle. Il fallait qu’il vienne et qu’il me trouve.

— Et Marona ? demanda la doniate. Apparemment, tes sentiments pour elle n’ont pas suffi à te faire rester. Est-ce qu’elle a eu quelque chose à voir dans ta décision de partir ?

C’était la première fois depuis le retour de Jondalar que la Première avait vraiment l’occasion de le questionner sur ses motifs et elle n’entendait pas la manquer.

— Qu’aurais-tu fait si Thonolan n’avait pas fait le choix du Voyage ?

— Je serais allé à la Réunion d’Été et je me serais probablement uni à Marona, je suppose. Tout le monde y comptait et à l’époque je ne m’intéressais à aucune autre femme.

Il sourit à Ayla et poursuivit :

— Pour être franc, je ne pensais pas à elle quand j’ai pris ma décision. Je me faisais du souci pour ma mère. Je crois qu’elle avait senti que Thonolan ne reviendrait peut-être pas et j’avais peur qu’elle ait les mêmes craintes pour moi. J’avais l’intention de rentrer mais on ne sait jamais, tout peut arriver pendant un Voyage, et il s’est en effet passé beaucoup de choses. Mais je savais que Willamar ne partirait pas et qu’il resterait à notre mère Folara et Joharran.

— Qu’est-ce qui te fait croire que Marthona ne croyait pas que Thonolan reviendrait ?

— Quelque chose qu’elle nous a dit quand nous sommes partis rendre visite à Dalanar. C’est Thonolan qui l’a remarqué. Mère lui a dit « Bon voyage » mais elle n’a pas ajouté « Jusqu’à ton retour », comme elle l’a fait pour moi. Et rappelle-toi, lorsque nous leur avons appris ce qui était arrivé à Thonolan, Willamar a dit qu’elle n’avait jamais cru qu’il reviendrait. Et comme je le craignais, quand elle a découvert que j’étais parti avec lui, elle a eu peur que je ne revienne pas non plus. Elle a pensé qu’elle avait perdu deux fils.

Voilà pourquoi il ne pouvait pas accepter de rester chez les Sharamudoï quand Tholie et Markeno nous l’ont proposé, pensa Ayla. Ils étaient si accueillants et je m’étais tellement attachée à eux que je souhaitais rester, mais Jondalar ne le voulait pas. Je sais maintenant pourquoi et je suis heureuse que nous soyons allés jusqu’au bout. Marthona me considère comme sa fille et Zelandoni aussi. J’aime beaucoup Folara, Proleva, Joharran et beaucoup d’autres. À quelques exceptions près, tous les membres de la Caverne ont été gentils avec moi.

— Marthona avait raison, dit la Première. Thonolan possédait de nombreux talents et on l’adorait. Beaucoup assuraient qu’il était un préféré de la Mère. Je n’aime jamais qu’on dise cela mais dans son cas, c’était prophétique. Être un de Ses préférés a aussi un mauvais côté : Elle ne supporte pas d’être séparée d’eux longtemps et a tendance à les rappeler à Elle quand ils sont encore jeunes. Tu es resté absent si longtemps que je me demandais si tu n’en faisais pas partie, toi aussi.

— Je ne pensais pas que mon Voyage durerait cinq années.

— Au bout de deux ans, la plupart des gens pensaient que vous ne reviendriez pas. De temps à autre, quelqu’un mentionnait que Thonolan et toi faisiez le Voyage mais on commençait déjà à vous oublier. Je ne sais pas si tu t’es rendu compte de la stupeur que tu as suscitée à ton retour. Pas seulement parce que tu revenais avec une étrangère, des chevaux et un loup…

Zelandoni marqua une pause et eut un sourire.

— C’était parce que tu revenais, tout simplement.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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